Les épidémies, et plus largement les questions liées à l’hygiène, à la santé et à la salubrité publique engendrent des changements dans les villes. Les travaux du baron Haussmann, au cours de la deuxième partie du XIXe siècle à Paris avaient notamment pour but, suite à l’épidémie du choléra survenue en 1832 dans la capitale, de tendre vers une hygiénisation de la ville. Comment les épidémies font et défont-elles la ville ? Dans la perspective du déconfinement, et à l’aune de la prise de conscience écologique, il est aujourd’hui urgent pour nous d’imaginer la place des mobilités douces dans nos métropoles. Aussi est-il également important de penser notre propre rôle, en tant qu’acteur de sensibilisation et de prévention, dans une transition qui se fera aussi bien à court terme, dans les semaines à venir, qu’à plus long terme.
L’épineux problème des transports publics dans les métropoles en période épidémique :
L’épidémie du coronavirus implique aujourd’hui différents défis. Celui de la promiscuité dans les transports en est un. En effet, maîtriser l’épidémie, passe notamment par une limitation des contacts dans les transports publics, véritables nids de contamination.
Au-delà du problème de la promiscuité dans les transports en commun, le problème de la congestion automobile qui découlerait du report modal de ceux désertant les transports pourrait venir s’ajouter. Or cette dernière constitue déjà un problème de santé publique, en témoigne les chiffres récemment mis en avant par la maire de Paris, Anne Hidalgo : la pollution atmosphérique, due à la congestion, serait responsable de 48 000 morts par an en France et de 6 500 morts par an sur le territoire du Grand Paris. Par ailleurs, certaines études allemandes et italiennes récentes émettent l’hypothèse selon laquelle la pollution aux particules entraînerait une accélération de la propagation du Covid-19. Il n’est donc pas envisageable de prendre le risque d’engorger nos villes de voitures individuelles dans les semaines à venir.
Réinvestir autrement la voirie : l’urbanisme tactique au service des mobilités douces
Les mobilités douces représentent donc un double avantage dans la perspective immédiate du déconfinement : elles pourraient permettre, d’une part, de désengorger les transports et pourraient constituer, de l’autre, une alternative à la voiture, et ce dans une perspective de vigilance quant à la qualité de l’air. Par ailleurs, le recours au vélo constitue une activité physique en tant que telle, et pourrait également permettre de réaliser des économies pour les familles sur leur budget transport, à condition que le deux-roues serve à des déplacements domicile/travail correspondants aux déplacements les plus coûteux.
Si l’on occulte la période exceptionnelle que nous traversons, le vélo constitue de plus, un moyen de déplacement en plein essor. On compte ainsi quotidiennement en Île-de-France 840 000 déplacements à vélo, soit 30 % en plus depuis 2010, et l’indicateur de trafic vélo de la ville de Paris a triplé en vingt ans. Rappelons que les deux tiers des déplacements des Franciliens font moins de 3 kilomètres, et que le vélo a un fort potentiel en Île-de-France pour répondre à ces nombreux déplacements courts.
Par ailleurs, le recours aux mobilités douces pourrait répondre aux désirs des usagers et à certaines de leurs craintes nouvelles apparues avec le Covid-19. Une enquête menée ces dernières semaines par le Forum des Vies Mobiles révèle que 38 % des Français interrogés déclarent avoir pris conscience que leurs déplacements pourraient être faits davantage en proximité, à pied ou à vélo.
De ces constats résulte une réponse mise en avant depuis quelques semaines en Île-de-France : l’urbanisme tactique. À l’origine apparu en Amérique du Sud avec l’exemple précurseur de la fermeture temporaire de grands axes routiers aux voitures à Bogota, l’urbanisme tactique est devenu un outil d’urbanisme à part entière. Il désigne un mouvement spontané, découlant d’un désir nouveau d’aménagement urbain ou d’occupation de l’espace, à l’initiative des usagers et des collectivités venant ensuite convaincre, notamment par le fait, les pouvoirs publics. Concrètement, ce sont souvent des usages transitoires, réalisés dans une perspective de court terme, pouvant à plus long terme nourrir le projet urbain.
L’actualité de ces dernières semaines correspond en partie à la définition prêtée à ce phénomène. En effet, l’urgence et les contraintes de la situation sanitaire ont fait qu’il était difficile de voir émerger des pratiques sur le terrain. Aussi, ce sont notamment les structures associatives qui ont impulsé les choses, auprès de pouvoirs publics parfois déjà convaincus de la nécessité de mettre rapidement en place des actions concrètes.
En région parisienne, le Club des villes et territoires cyclables, en la personne de son président, Pierre Serne, a su convaincre le ministère de la Transition écologique et solidaire, de l’opportunité de faciliter des aménagements temporaires sur la voirie afin d’augmenter le nombre de parcours cyclables. L’idée étant alors de créer des conditions favorables pour que les franciliens changent leurs comportements. En gros, créer de l’offre pour induire une demande. Il en résulte à la fin du mois d’avril un plan de 20 millions d’euros pour une opération pro-vélo éclair auxquels les collectivités ont très vite répondu en proposant des installations et en sollicitant des aides financières. Dans le même temps, la mairie de Paris a très rapidement mis en avant le concept de l’urbanisme tactique en programmant à la hâte la création de larges pistes cyclables sur certains de ses grands axes (boulevard Saint-Michel, rue Saint-Jacques, avenue du Général Leclerc, etc), et en réfléchissant d’ores et déjà à d’éventuels élargissements de trottoir afin de faciliter la distanciation sociale et la réouverture notamment des terrasses. Enfin, le projet du “RER vélo”, porté par le collectif Vélo Île-de-France depuis plusieurs années, a été remis sur la table, la région s’engageant à hauteur de 60%, et se disant prête à mobiliser jusqu’à 300 millions d’euros immédiatement afin d’initier, dans l’urgence, les premiers aménagements.
En province, on observe les mêmes tendances. Face à l’inquiétude générale, différentes villes calquent leurs initiatives sur le modèle francilien (Nantes, Bordeaux, Orléans, Grenoble, Lyon, etc) et annoncent l’arrivée d’espaces dédiés aux deux-roues sur la chaussée, délimités par des plots.
De manière générale, nous avons vu émerger rapidement un discours pro vélo, en témoigne les mots de la ministre de la Transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne, voyant en la période actuelle “le moment d’illustrer que le vélo est un mode de transport à part entière et pas seulement un loisir “. Par ailleurs, se sont couplés à ce discours des mesures financières d’incitation à l’utilisation du vélo, comme par exemple le “coup de pouce vélo”, une aide de cinquante euros permettant de faire réparer son deux-roues.
Compte tenu de la crise que nous traversons, l’urbanisme tactique présente en effet différents avantages : il permet des aménagements évolutifs, avec la mise en place de structures faciles à monter, à démonter, et à déplacer. Ainsi, il permet des aménagements pouvant évoluer suivant la demande, les besoins des usagers et les contraintes de circulation, ce qui, du fait des incertitudes et des rebondissements liés la crise sanitaire actuelle, est primordial. Cette flexibilité renforce, de plus, l’acceptation sociale des changements. Par ailleurs, l’urbanisme tactique a l’avantage d’induire un coût réduit : les aménagements mis en place sont moins coûteux que des infrastructures lourdes et vouées à être définitives. Ces derniers sont donc dans le même temps plus écologiques, car moins gourmands en matériaux. L’urbanisme tactique, s’inscrit dans un mouvement général de “reconquête urbaine“ sur les voitures et les espaces de parking, ce qui constitue, en soi, une dynamique positive d’éviction de la voiture de nos villes.
Plus largement, l’urbanisme tactique est étroitement lié aux concepts d’urbanisme transitoire et d’urbanisme temporaire, qui renvoient à une multitude de pratiques consistant en l’occupation passagère de lieux publics ou privés, généralement comme préalable à un aménagement durable dans le temps. Là aussi, ces tendances sont très encourageantes, il y a fort à parier que les nouveaux aménagements pensés pour les vélos, demeureront, en partie du moins, à l’issue de la crise.
Nous pouvons également imaginer la crise actuelle comme le moment d’une réflexion sur la “dé-mobilité”. 53 % des personnes interrogées dans le cadre d’une étude menée par le Forum des Vies Mobiles pendant le confinement se disent favorables à la mise en place de mesures de rationnement visant à limiter les déplacements afin de lutter contre la crise climatique. Selon les conclusions de l’étude, les français interrogés aimeraient en effet “pouvoir réduire leurs déplacements”, la crise sanitaire venant montrer depuis plusieurs semaines les problèmes causés par nos modes et nos cadres de vies inscrits dans des densités fortes et soumis à des contraintes de déplacements chronophages, polluantes et trop peu résilientes.
L’alternative de la trottinette électrique :
Depuis plusieurs semaines, le vélo fait souvent figure dans les discours politiques et dans la presse de potentielle “solution miracle”. Les autres mobilités douces, comme la trotinnette électrique, sont en comparaison peu évoquées. Pourtant, les Engins de Déplacement Personnel Motorisés (EDPM) partagés ou personnels, constituent un mode de transport dont il est difficile de nier l’engouement associé, et surtout le caractère alternatif.
La trottinette électrique a connu en France un important engouement et une croissance spectaculaire depuis trois ans : en 2019, 500 000 trottinettes électriques ont été vendues en France, contre 232 000 vendues en 2018 où la croissance était déjà de plus de 130% sur un an selon une étude réalisée par l’assureur AXA. Ce mode de transport a notamment connu un fort succès dans la capitale. Après moins d’un an de fonctionnement, et l’arrivée sur les trottoirs de douze opérateurs différents de free floating, les trottinettes électriques avait déjà atteint une part modale comprise entre 0,8 et 2,2% à Paris selon les données du bureau d’études et de recherche 6t.
Qu’elle soit électrique ou non, en libre service, ou personnelle, la trottinette constitue un nouveau mode de transport alternatif. Même si la durabilité et la faible empreinte écologique de ce mode de transport encore très neuf sont encore sujets à débat, les trottinettes s’alignent afin de permettre une mobilité sans émissions nocives, et s’inscrivent par là donc dans l’écomobilité. L’étude réalisée par Carbone 4 pour l’opérateur Bird présente différents aspects justifiant l’idée selon laquelle ce mode offrirait une solution idéale pour aider les villes à réduire les émissions de gaz à effet de serre sur leur territoire : d’abord, les trottinettes nécessitent moins d’énergie pour se déplacer que d’autres modes, les rendements des moteurs électriques étants bien meilleurs que ceux des moteurs à combustion interne, ensuite elles n’impliquent pas d’émissions à l’échappement, enfin, comme pour tout véhicule électrique, les pneus, les frottements sur la route et les freins peuvent générer des émissions, mais celles-ci sont également très réduites.
Les trottinettes ont par ailleurs l’avantage d’être, comme le vélo, des véhicules légers et prenant individuellement peu de place sur la chaussée (0,8 mètre carré par utilisateur) et en terme de stationnement (une place de parking voiture pouvant accueillir jusqu’à dix trottinettes). Ainsi, avec aujourd’hui trois quart de la voirie dédiée à la voiture, la trottinette pourrait participer du mouvement de reconquête urbaine sur la voiture.
Par ailleurs, ces nouveaux véhicules peuvent permettre le report modal depuis la voiture individuelle ou les transports en commun. L’étude réalisée par 6t montre que les principaux types de déplacements réalisés en trottinettes seraient les trajets aller-retour entre le domicile et le lieu travail, les autres déplacements professionnels et les trajets liés aux loisirs. Selon cette même source lesdits trajets durent en moyenne dix-neufs minutes et couvrent 4,6 kilomètres. À ce jour, les trottinettes électriques pourraient donc remplacer des trajets en transports en commun, à pied et en voiture, et notamment permettre de couvrir les déplacements domicile-travail dont 60 % font, aujourd’hui en France, moins de cinq kilomètres.
Tous ces éléments montrent le potentiel de la trottinette dans l’immédiat de la crise sanitaire mais aussi à plus long terme. Au même titre que le vélo, les trottinettes peuvent permettrent des économies (dans le cas d’un achat personnel). Notamment dans le cadre du Forfait de Mobilités Durables dont peuvent désormais bénéficier les salariés (jusqu’à 400€/an pouvant financer par exemple l’achat d’un vélo, des trajets en covoiturage ou encore le recours aux trottinettes). Elles permettent par ailleurs la pratique d’une activité en plein air. Enfin, elles répondent aux craintes du contact rapproché avec les autres usagers et pourraient en urgence soulager les transports en commun. Au delà de la demande qui pourrait accroître, les aménagements cyclables nouvellement apparus dans les métropoles pourraient offrir de nouveaux espaces pour la pratique de la trottinette. En effet, les investissements dans les infrastructures cyclables auraient déjà permis de faciliter l’arrivée des trottinettes dans nos paysages urbains, ces dernières pouvant rouler sur les mêmes voies que les vélos, avec une expérience de conduite assez similaire. À plus long terme, dans un contexte de démobilité et donc de réduction du nombre et de la longueur des déplacements, la trottinette pourrait s’imposer comme un nouveau mode de déplacement à part entière, à condition d’une cohabitation avec les autres modes concertée, pensée et sécurisée.
Des transports collectifs aux mobilités douces : entre incitation et sécurité
La trottinette électrique, notamment en free floating, a souffert d’une mauvaise image ces derniers mois en raison des accidents causés, des occupations chaotiques sur la voirie et les trottoirs et plus globalement du manque d’anticipation quant à l’arrivée de ce nouveau véhicule dans les espaces urbains denses.
Avec le contexte du déconfinement, chaque individu métropolitain souhaitant se déplacer, notamment pour ses trajets domicile-travail, va forcément s’interroger sur différentes solutions, en fonction de ses propres craintes et des contraintes liées à des déplacements toujours compliqués, notamment en Île-de-France classée toujours rouge en raison d’une circulation toujours active du virus et des tensions persistantes en services de réanimation. Certains employeurs exhortent par exemple leurs salariés à éviter les transports, d’autres ne fournissent pas forcément d’attestations de travail pour circuler en heures de pointes.
La question de la sécurité est renouvelée dans ce contexte. Dans le cadre des transports en commun, l’enjeu de la sécurité des personnes se place du côté de la responsabilité de l’autorité organisatrice, de l’exploitant, et des agents. Avec le recours au vélo, à la marche à pied, ou encore à la trottinette, la responsabilité glisse du côté de l’individu qui va adopter ses propres stratégies de déplacement et finalement va être livré à lui même beaucoup plus que dans le cadre des transports collectifs. Avec ce repli sur des moyens autonomes de circulation, les flux de mobilités douces qui vont forcément augmenter dans les métropoles sont difficiles à anticiper, notamment en raison des incertitudes face au contexte sanitaire et du rythme prudent du retour des salariés urbains vers leurs bureaux. Les différentes mobilités vont attirer des novices. Les questions de sécurité relatives à la cohabitation de tous sont donc importantes, a fortiori dans une période où les tensions entre les individus peuvent être exacerbées par l’aspect exceptionnel et traumatisant de la période que nous vivons tous.
Le rôle de Two Roule dans la transition
L’enjeu de sensibilisation et de prévention que nous portons depuis notre création chez Two Roule est donc prépondérant.
Nous comprenons que les collectivités ont un rôle central et essentiel : elles sont principalement responsables de la disponibilité des aménagements afin de permettre le bon usage des trottinettes en ville, grâce à une réglementation et des investissements en infrastructure appropriés. On le voit avec l’urbanisme tactique. Les entreprises ont également un rôle à jouer, en incitant les salariés à utiliser ce genre de mobilités et en mettant en place des conditions favorables.
Le besoin de pédagogie est plus fort que jamais pour une efficace cohabitation des trottinettes avec les autres moyens de transports et les piétons. La période actuelle confirme les intuitions que nous avions donc quant à l’avènement des mobilités douces et la nécessité d’encadrer ce développement.
Il est pour nous important de s’inscrire intelligemment dans la période qui vient, à court et à long terme. Le temporaire laissera des traces et deviendra en partie la norme. Nous devons réagir nous aussi dans l’urgence, en organisant notre devenir dans les semaines à venir et garder en tête les transformations structurelles de la mobilité. Dans cette période où les corps doivent s’éloigner, nous souhaitons participer à l’émergence et à la pérennisation de pratiques sécurisées, rapprochant dans la mesure du possible les urbains par le biais d’une pratique ludique et attrayante.